La petite feuille rousse

12 Déc 2016 | Textes et poèmes

La petite feuille rousse

Comment a-t-elle pu se retrouver au milieu de tous ces cailloux ? Qui plus est, enfermée dans une cage grillagée.
Elle se souvient être tombée de l’arbre, avec d’autres congénères, qui comme elle viennent chaque automne terminer leur vie sur le sol herbeux.
Après sa chute aérienne, portée jusqu’à terre par une douce brise, elle s’est assoupie un moment, pour se réveiller dans un camion, coincée au milieu de dizaines de grosses pierres comme on en trouve  dans les gravières. Des pierres charriées par le fleuve et déposées sur ses rives ou dans le fond de son lit.
Elle étouffe, coincée au milieu de cet amoncellement minéral.

Un bon nombre de pierres ont été rassemblées dans un coffrage métallique, lui-même déposé en bordure d’un champ, avec d’autres coffrages similaires. On en voit beaucoup maintenant, pour empêcher les stationnements illégaux.
Et la petite feuille rousse esseulée se trouve embarquée dans cette aventure, alors qu’elle rêvait de finir paisiblement au pied du platane qui l’avait vue éclore et l’avait amoureusement portée jusqu’à l’arrivée de l’automne et ses premières rafales de vent. Elle se souvient de cette nuit où, les bourrasques et la pluie aidant,  les branches n’avaient pas été ménagées.

Elle se tient recroquevillée contre le grillage métallique. Elle sent qu’elle se dessèche un peu plus chaque jour. D’où elle est, elle n’aperçoit pas les petits bouts d’une autre feuille écrasée à même le sol par le poids des pierres au-dessus.  Et c’est tant mieux. Elle attend que sa vie se termine loin du tapis vert que lui offrait le parc où elle avait grandi.

Jusqu’au jour où une voix d’enfant se fait entendre.

— Regarde, papi ! Cette feuille ! Je peux l’attraper ? Je pourrai la mettre dans mon cahier. La maîtresse nous a demandé de coller dedans des objets qui illustrent nos vacances d’automne.

C’est ainsi que la petite feuille rousse se retrouve collée sur une page blanche, après avoir été saisie délicatement par une main enfantine. A côté d’elle, une phrase, écrite à l’encre bleue : en me promenant avec mon grand-père, j’ai trouvé une feuille prisonnière des cailloux.

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